■ Philippe Borgeaud, L'histoire des religions, Gollion : Infolio, 2013

Adieu* Mistinguettes et autres Damoiseaux !




-Aujourd'hui sur le blog, je tenais à vous partager ma chronique sur l'ouvrage comparatiste de l'historien suisse des religions, Philippe Borgeaud-

Réflexions sur l’historique des religions

« Pour que puisse émerger une véritable réflexion sur la religion et donc une histoire des religions, il a fallu que l’on en vienne à reconnaître deux «évidences » » (Borgeaud 2013, p.9). Ces deux «évidences », nous explique l’historien suisse des religions Philippe Borgeaud, sont premièrement celle du positionnement de l’observateur, de la comparaison au sens stricte des phénomènes qu’il observe et deuxièmement, celle des croyances et pratiques rituelles des autres, différentes et indépendantes de leur origine bien que considérées (du point de vu occidental ?) comme religieuses. La publication de la présente monographie, L’histoire des religions, est le fruit d’une expérience riche de l’auteur dans l’enseignement universitaire autour du globe (Suisse, Etats-Unis, France, Italie) ; un enseignement sur les religions de l’Antiquité et leur réception mais également sur l’historiographie de l’histoire des religions en passant par la comparaison de ces dernières, en histoire. Et c’est dans l’optique de ce dernier élément que l’ouvrage s’inscrit : Borgeaud, au delà-de purement retracer les origines des religions, questionne leurs rites et croyances dans une approche comparatiste et transdisciplinaire[1], dans le temps et l’espace.
Des définitions modernes et antiques
L’exposition de la problématique ainsi que du fil conducteur que va emprunter l’auteur dans le prologue, rend la synthèse accessible et compréhensible. Borgeaud propose d’ailleurs de commencer par les fondamentaux, les définitions théoriques et pratiques de la religion, dans l’usage moderne et emprunts de la pensée chrétienne. De Kant à Egel en passant par Müller et Pinard de la Boullaye, la religion y est définie aussi positivement que de manière critique, du moins en surface. Quant à ses détracteurs, Marx et Freud, ils la définissent comme une illusion, et plus précisément selon le second en tant que « symptôme d’une névrose universelle de l’humanité  » (Borgeaud 2013, p. 16). Malgré la multitude de définitions du mot religion et ce qu’il contient, tous s’accordent à dire qu’elle est dans son ensemble (telle définie à l’époque moderne), un phénomène quasi universel. L’auteur appréhende ensuite le mot religion dans son acception pré-chrétienne et se base pour cela sur les étymologies des penseurs antiques tels Hérodote et Évhémère et évoque sa relation étroite avec la superstition – superstitio-, traduite comme la crainte de la divinité.
Sémantique moderne et problèmes de traductions
A partir du XVIsiècle se pose la question de la resémantisation du concept de religion : à la fois ensemble identitaire cohérent et autonome de pratiques et croyances, les religions n’en deviennent pas moins des éléments incompatibles, voire disjoints. De cette incompatibilité et de leur observation en tant que curiosité par les européo-chrétiens, émerge un siècle plus tard, une classification en quatre espèces : « le christianisme, le mahométisme, le judaïsme et (comme par hasard) l’idolâtrie, c’est-à-dire toutes les autres » (Borgeaud 2013, p. 27). C’est à ce moment précis que le concept de « grandes religions » du monde moderne apparaissent. Borgeaud nous emmène ensuite en Asie où le concept de religion, importé par les missionnaires chrétiens – en premier lieu au Japon -, a débouché début XXchez son voisin chinois, sur la création d’une liste des religions officielles (et donc des proscrites et condamnables). Le choc des civilisations et la vision européocentrique de la société chinoise, définies comme sous-développée, facilitent la tâche des missionnaires dans l’exportation de la notion moderne de religion. Lors de l’arrivée de Colomb et par la suite des missionnaires en Amérique, ces derniers répertorient dans des « calepins », le vocabulaire et donc l’existence de la religion (toujours au sens moderne) mais sans succès. Au final, d’après les fondamentaux de ce premier chapitre que nous expose l’auteur, le sens pré-chrétien du mot religion s’attache plus aux rites (visibles dans les Amériques par exemple) qu’au lien à un dieu qui dès lors, s’inscrit dans l’interprétation chrétienne.
Des jalons antiques de la comparaison aux perspectives d’une discipline
Rappelons-le, l’auteur inscrit son histoire de l’histoire des religions dans une approche comparatiste dont le dosage entre les connaissances du terrain et la capacité de l’ouvrir à la comparaison par la transdisciplinarité, doit être maîtrisé. C’est ainsi qu’il débute le second chapitre de son ouvrage : comparer ne veut pas dire réduire la diversité des phénomènes religieux à de grandes structures modélisées mais doit mettre en lumière des différences, les analyser et en rendre compte pour essayer de les comprendre[2]. C’est par le biais de l’antiquité qu’il évoque cette comparaison dans un premier temps pour en venir logiquement à l’invention du paganisme, aux théories du plagiat des polythéismes antiques et à la pensée des Pères de l’Eglise. Les réflexions chrétiennes sur la religion du Nouveau Monde (idolâtrie diabolique, religion naturelle ?) laissent ensuite place au début de l’exégèse comparatiste du XVIIIe siècle[3], ainsi que d’une nouvelle sensibilité mythologique et linguistique, qui jouera un rôle déterminant dans la naissance, au XIXsiècle, de l’histoire des religions comme discipline historique.
Conclusion
Philippe Borgeaud traduit ici un travail titanesque, regroupant ses cours, ses recherches et ses publications. On peut dire que dans chacun de ses chapitres, ses hypothèses et faits historiques qu’il retrace sont exposés, exemplifiés et expliqués ; ne négligeant donc aucunes sources et penseurs qui ont influencé de près ou de loin le développement de cette discipline historique dans le sillon comparatiste. De l’Antiquité jusqu’à nos jours, l'historien ne déconstruit pas seulement le concept « fini » de religion, mais tout ce qui la compose : les mythes, les rites, les croyances et les images « […] issus d’un immense chantier aux multiples ramifications » (Borgeaud 2013, p. 198).
Pour aller plus loin
  • Borgeaud Philippe, Aux origines de l’histoire des religions, Paris : Seuil, 2004.
  • Boespflug François et Dunand Françoise (eds.), Le comparatisme en histoire des religions, Paris : Cerf, 1999.
  • Detienne Marcel, Comparer l’incomparable, Paris : Seuil, 2000.

Tout plein de love à vous, Mistinguettes et autres Damoiseaux !




[1] L’histoire (diachronie, transformations, espace-temps) – La philologie (dans l’apprentissage des langues qui ont servi à l’écriture des textes, véhicules des traditions) – La sociologie (religion comme fait social, dans l’études des institutions religieuses) – L’ethnologie et l’anthropologie (contact direct avec l’autre sur son terrain, rites croyances…) et la psychologie (religion est expression de motivations profondes pour le pratiquant).
[2] Borgeaud Philippe, L’histoire des religions, Paris : Infolio, 2013, p. 37.

[3] Borgeaud cite Bernard et Picart, Mûller…


* = Pour les petits frenchies, l'allocution "Adieu" en Suisse romande est synonyme de "Bonjour", dixit feu mon arrière grand-maman, Simone. 

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